« Transformation digitale : l’utilisation de technologies digitales pour changer un business model et amener des revenus nouveaux et de nouvelles opportunités porteuses de valeur »
Voilà la définition qu’en donnait le Gartner en 2015.
5 ans plus tard, il reste nécessaire de rappeler cette définition régulièrement, tant l’expression « transformation digitale » est utilisée à tort et à travers, et tant sont rares les entreprises qui l’envisagent effectivement sous l’ensemble de ces dimensions.
En particulier, il est fréquent de voir le sujet réduit à l’introduction de logiciels dans l’entreprise ou la simple digitalisation de certains de ses processus. Il est encore plus fréquent de la voir considérée comme un sujet purement technologique, confié à l’ « informatique », auquel les dirigeants ne s’intéressent que marginalement.
Approcher le sujet de cette manière amène le plus souvent à passer à côté du véritable enjeu : le digital est l’occasion de revoir le positionnement de l’entreprise, sa proposition de valeur, son business model, dans un monde fortement modifié par le digital.
Le digital, c’est à la fois une opportunité et un risque :
- Les clients consomment différemment : il est indispensable de comprendre en quoi leurs attentes changent, puis de s’y adapter, au risque de générer très vite de l’insatisfaction,
- D’autres formes de concurrence émergent, les modes de collaboration avec les partenaires de l’entreprise changent : c’est le moment de réinventer comment et avec qui faire son business,
- Les processus internes ont la possibilité d’être profondément revus : une entreprise qui ne saisirait pas ces opportunités risque d’être vite en déficit de compétitivité ou de générer de l’insatisfaction pour ses collaborateurs, souvent très conscients de l’obsolescence de l’outil de production.
Alors oui, que l’on soit une TPE/PME ou un groupe international, il est indispensable de prendre conscience que l’environnement de l’entreprise a profondément changé du fait du digital, puis de revisiter, en ayant bien compris les opportunités offertes par la technologie, ces questions clé de positionnement, de proposition de valeur, et de business model.
Réussir sa transformation digitale suppose de travailler simultanément sur quatre dimensions
Une manière efficace de comprendre l’ensemble des dimensions à couvrir lorsque l’on envisage sa transformation digitale est de représenter l’entreprise selon 4 dimensions.
- Sa composante externe : c’est celle qui est visible de ses clients, mais également de ses futurs collaborateurs ; cette composante touche aux sujets de raison d’être, de marque, de proposition de valeur, d’expérience client et s’exprime via différents canaux de communication ; on comprend bien qu’une entreprise, aussi productive soit elle, mais dont la marque serait mal référencée sur les moteurs de recherche ou peu visible sur les réseaux sociaux, ou qui offrirait une expérience client en retard par rapport aux usages serait vite en difficulté,
- Sa composante de production : c’est celle qui touche l’organisation et les processus qui vont produire ce que l’entreprise propose à ces clients, qu’il s’agisse de produits ou de services ; là aussi, on comprend qu’une entreprise qui n’est pas en mesure d’utiliser les possibilités offertes par le digital pour produire plus efficacement, pour intégrer facilement dans ses processus des entreprises partenaires, va vite se retrouver en déficit de compétitivité face à ses concurrents,
- Sa composante humaine : c’est celle qui touche les femmes et les hommes qui composent l’entreprise ; une transformation majeure de l’entreprise ne se fera qui si elle est acceptée voire souhaitée par les collaborateurs, et si ceux-ci disposent des compétences qui leur permettent d’appréhender et d’exploiter au mieux les opportunités du digital,
- Sa composante technologique, et en particulier celle des technologies de l’information : c’est celle qui touche à l’ensemble des moyens (logiciels, infrastructures, etc) dont se dote l’entreprise pour venir servir sa stratégie et irriguer l’ensemble de l’organisation avec les données nécessaires à percevoir son environnement et d’adapter sa posture.
Le challenge d’une transformation digitale réussie est de faire évoluer de manière homogène ces 4 composantes.
En effet, tout décalage entre l’une ou l’autre va rapidement générer des difficultés :
- Une expérience client vécue en décalage avec celle affichée, parce que les processus internes ne le permettent pas,
- Des collaborateurs qui se sentent exclus de la transformation en cours, car en décalage de compétences,
- Une DSI qui n’est plus en mesure de suivre le rythme des changements d’expérience imposés par les clients,
- Etc, etc
C’est ce challenge d’une transformation agissant simultanément sur ces 4 dimensions qui est probablement le plus difficile à adresser : il suppose d’agir de manière globale, en amenant différentes parties de l’entreprise à coopérer étroitement durant toute la transformation.
Transformation digitale : les spécificités des TPE/PME
Les nombreuses transformations que nous avons accompagnées ces dernières années, auprès de grandes entreprises comme de TPE/PME (…), mais également le baromètre SmartLane de maturité digitale que nous avons réalisé en 2018 auprès de 500 entreprises de toutes tailles, nous ont permis de cerner le profil type d’une TPE/PME face au challenge de la transformation digitale.
S’il existe bien évidemment des exceptions, la majorité des TPE/PME sont handicapées face au sujet de leur transformation digitale pour 2 grandes raisons :
- Elles appréhendent mal les enjeux stratégiques qui découlent d’un monde digital :
Concentrées sur l’opérationnel, elles ne prennent pas suffisamment le temps d’écouter (leurs clients, leurs partenaires, leurs collaborateurs) et ont donc du mal à formuler en quoi leur environnement évolue. Elles ne perçoivent donc souvent qu’avec retard le décalage qui se crée. Les symptômes visibles de ce décalage (perte lente de part de marché, départ des collaborateurs à potentiel, etc) ne viennent pas nourrir cette capacité à questionner sa posture.
Par ailleurs, on note un retard alarmant quant à la capacité des dirigeants à appréhender les opportunités qu’offre la technologie. Peu comprennent que dans un monde digital, la technologie modifie profondément la manière de faire le business. Peu comprennent donc qu’il est indispensable de dépenser une partie de leur temps précieux à comprendre. Une étude récente de la BPI montre même que près de la moitié (47%) de des dirigeants de PME/ETI considèrent que le digital n’aura pas d’impact majeur sur leur activité avant au moins 5 ans …
Je garde en tête un échange avec le DGA en charge de l’activité commerciale d’une importante PME dans le domaine des services. Il savait de tête la surface du dernier point de vente ouvert dans la banlieue de Marseille, mais avouait ne pas savoir combien de visiteurs venaient chaque jour sur le site internet de l’entreprise. Il a compris toute la puissance de la technologie en voyant d’où venaient ces visiteurs, et quelles offres ils regardaient en priorité. Les chiffres collectés montraient en effet qu’une adaptation significative de sa politique d’ouverture de points de vente était nécessaire.
- Elles manquent de moyens :
Les TPE/PME étant par essence de plus petites structures, elles n’ont pas les moyens humains comme financiers des grands groupes.
Comment identifier les opportunités ? Comment identifier les compétences manquantes ? Faut-il les recruter ou faire appel à des prestataires (cabinet de conseil, agences digitales …) ? Comment identifier les prestataires adaptés à la fois au contexte TPE/PME et aux chantiers à mener ? Comment éviter de se retrouver avec N prestataires incapables d’agir de manière globale ? Comment financer ces nouveaux postes ? Comment financer le programme de transformation ?
Toutes ces questions se posent de manière aiguë aux dirigeants ayant compris qu’il fallait agir.
Les solutions pour réussir sa transformation digitale
Fort heureusement, certaines TPE/PME mènent avec succès des transformations digitales ambitieuses, en ayant trouvé des approches contrebalançant les points évoqués à la section précédente.
Je citerai ici trois grandes familles de solution, qui sont autant de bonnes pratiques qui pourront inspirer nos lecteurs :
- Les diagnostics de maturité digitale
Ces outils concentrent la plupart du temps des années d’expérience en matière de transformation digitale. Ils présentent le grand avantage de permettre, en quelques heures, de mettre le doigt sur les sujets à travailler, et aident ainsi le dirigeant à concentrer son attention et les moyens qu’il souhaite engager.
Les plus avancés (voir notamment l’initiative DIMM.UP de Michaël Tartar d’un diagnostic digital évolutif, enrichi en continu par les experts du sujet – plus sur https://www.dimmup.com) permettent de scanner où en est l’entreprise sur des dimensions aussi diverses que celle de la marque, de l’offre, de la compréhension de la concurrence, de la technologie, des actions de lobbying, etc).
- Le recours à de nouvelles formes de conseil
Nous l’avons vu plus haut, mener à bien une transformation digitale suppose d’agir de manière holistique sur les 4 dimensions décrites plus haut. Ceci exige des profils bien particuliers, capables de parler aussi bien aux dirigeants qu’aux métiers et aux DSI, privilégiant une approche centrée sur le business, et avec l’expérience des blocages habituels que vivent les entreprises lors des transformations.
De nouveaux acteurs du conseil sont récemment apparus, qui répondent bien aux exigences des transformations en TPE/PME :
- Ils sont en mesure de mettre à disposition des petites équipes pluridisciplinaires de profils expérimentés, capables de couvrir de manière efficace les 4 dimensions dont nous avons parlé
- Ils accompagnent les dirigeants sur la réflexion stratégique, tout en étant au quotidien focalisés sur le « faire » et la transmission d’expérience vers les collaborateurs de l’entreprise,
- Ils ont des business models innovants, rendant financièrement accessible à la TPE/PME des profils que celle-ci ne pourrait pas permettre d’embaucher.
- La mutualisation
La dernière approche est plus ambitieuse, mais ouvre des perspectives extrêmement intéressantes. Il s’agit de prendre conscience des limites induites par la taille même d’une TPE/PME, et de se regrouper pour mettre en commun les moyens, partager réflexions, bonnes pratiques, compétences, solutions technologiques, tout en mutualisant les coûts.
Cette approche peut prendre des formes très diverses (syndicats professionnels, réseaux de franchise …) mais poursuit le même objectif : mutualiser les moyens et permettre à la TPE/PME d’accéder à des ressources qu’elle ne pourrait se payer seule. L’entité issue de l’effort de mutualisation devient son partenaire privilégié dans sa transformation digitale : il connait bien son métier et dispose de l’ensemble des compétences lui permettant de l’accompagner en toute confiance.
Pour illustrer mon propos, voici deux exemples, dans des domaines très différents, et que nous avons contribué à faire émerger et à développer.
Exemple 1 : une Ligue sportive professionnelle
La mission historique de cette Ligue est d’organiser les championnats professionnels de ce sport, regroupant près de 40 clubs professionnels. L’ensemble de ces clubs cherche à rajeunir leur public, notamment en exploitant mieux les supports digitaux pour populariser ce sport, et donner envie de venir assister aux matchs. Les clubs sont des structures indépendantes, très hétérogènes en taille (10M€ de budget de fonctionnement pour les plus gros, moins de 2M€ pour les plus petits), en compétences ou en maturité sur les sujets digitaux. La Ligue fait le constat qu’elle doit se positionner en prescripteur du changement auprès des clubs, et leur apporter des solutions pour pallier à leur manque de compétences et de moyens.
Cette Ligue a ainsi construit une offre de service B2B vers les clubs (les clubs sont libres d’utiliser ou non les différentes composantes de l’offre proposée). Cette offre de service permet aux clubs d’accéder à des ressources en mode « as a service », tout en bénéficiant des meilleurs prix du fait de la mutualisation.
Les services proposés par cette Ligue aux clubs couvrent les dimensions évoquées en début de cet article :
- Composante externe :
- Dispositifs d’écoute client : mettre à disposition des équipes marketing des clubs des dispositifs simples et prêts à l’emploi, leur permettant de comprendre les attentes non satisfaites de leurs publics,
- Expertise de conception de service : mise à disposition d’un pool de compétences mutualisé, formé aux techniques du Design Thinking et au marketing des services, pour aider le club à concevoir les opérations marketing répondant à certaines attentes de leur public,
- Composante humaine:
- Sensibilisation des dirigeants aux enjeux du digital : créer les conditions de prises de décision (investissements, embauches, etc) en toute connaissance des enjeux digitaux,
- Catalogue de formation : identification des formations permettant de développer les compétences manquantes dans les clubs, et référencement de partenaires proposant le meilleur rapport qualité/prix,
- Composante technologique :
- Plateforme digitale mutualisée composée d’un socle IT minimal (billetterie + CRM + application mobile + infrastructure d’échange de données) permettant à tout club de disposer à prix accessible d’un Système d’Information aligné sur ses enjeux digitaux.
Exemple 2 : un réseau coopératif de notaires
Les notaires, bien que profession réglementée, prennent de plus en plus conscience du décalage entre leur approche de la relation avec leurs clients et les attentes de ceux-ci (ils sont par ailleurs clients de nombreuses entreprises de service qui concourent à établir un standard en matière de relation client). Pour répondre correctement à ces nouvelles attentes, les notaires se doivent de mettre en place des dispositifs de relation client similaires à ceux des banques, assurances ou opérateurs télécom.
Par ailleurs, la réglementation évolue et autorise maintenant les notaires à utiliser la « sollicitation personnalisée » (comprendre campagnes de marketing direct).
Certaines notaires parmi les plus proactifs, conscients des limites de leur entreprise (la majorité des études sont des TPE, avec une dizaine de collaborateurs), décident d’unir leurs forces et de créer un réseau coopératif. Cette structure, constituée de permanents disposant des compétences digitales confirmées et connaissant parfaitement les exigences du fonctionnement d’une étude notariale, est l’ « agence digitale » des membres de la coopératif. Cette même structure porte, en mutualisant les coûts, les différents investissements dans les plateformes digitales du notariat de demain.
A propos de l’auteur
Ancien Directeur Digital & Innovation chez Bouygues Telecom, Pierre Schaller dispose de plus de 30 ans d’expérience dans le secteur de la high-tech, avec un parcours qui allie digital, innovation et expérience client dans différentes entreprises du secteur (Dassault ; Mobile Tribe, start-up Internet dans le domaine des réseaux sociaux, qu’il fonde en 2000 ; Bouygues Telecom ; Neurones).
Pariant sur le phénomène freelance, Pierre fonde en 2016, avec Olivier Pujo, la société SmartLane, réseau d’indépendants spécialisé dans les transformations digitales des entreprises, puis en 2019, sur le même modèle, la société Circularity, spécialisée dans les transformations des entreprises.
SmartLane et Circularity accompagnent de très grands comptes (Veolia, BPCE, Sodexo, RATP, etc) comme des TPE/PME dans leurs transformations.
En savoir plus ?
Dirigeants de PME face au digital / Histoire d’incompréhension – Bpifrance / Le Lab
Baromètre SmartLane de maturité digitale des entreprises (2018)
Transformation digitale 2.0 : 6 leviers pour parer aux disruptions – D. Fayon & M. Tartar (2019)
Piloter sa transformation digitale grâce à la démarche Compas © – SmartLane Solutions (2019)
L’approche Lean pour la transformation digitale – Y. Caseau (2020)